
Un déficit commercial est-il forcément mauvais signe ? Quel impact pour les entreprises ?
Introduction
Les marchés avaient appris à se méfier des coups d’éclat, mais celui-ci ne manquera pas de faire date. D’un geste aussi assuré que controversé, Trump renoue depuis plusieurs semaines avec l’une de ses vieilles obsessions : redessiner les règles du commerce mondial, quitte à attiser des braises déjà rougeoyantes.
Avant de décortiquer les raisons et les répercussions de cette offensive tarifaire, un bref détour s’impose. Revoyons ensemble les règles du jeu des tarifs douaniers et de leur lien avec la balance commerciale.
Le tarif douanier, kézako ?
Instrument séculaire du commerce international, le tarif douanier se présente comme des frais imposés sur des marchandises passant une frontière internationale (majoritairement entrantes). Pourtant, calculé comme le pourcentage de la valeur du produit, il ne se contente pas d’être un simple droit d’entrée, il redessine, à sa manière, les règles du jeu mondial. Un coup de crayon sur un taux, et soudainement, un fabricant de chaussures doit reconsidérer l’origine de son cuir.
Ainsi, les tarifs douaniers ont le pouvoir de réguler le commerce international, protéger les industries nationales et générer des revenus. Mais, déguisés en mesure de bon sens, ils façonnent aussi les rapports de force, attisant parfois les tensions diplomatiques.
Le lien entre tarifs, balance commerciale et PIB
Pour comprendre pourquoi Trump en est un fervent défenseur, il faut d’abord revenir à un concept fondamental : la balance commerciale. En quelques mots, elle mesure la différence entre la valeur des exportations et des importations. Mais, en économie, la balance commerciale dispose également d’une relation privilégiée avec le Produit Intérieur Brut (PIB) d’un pays, soit la valeur totale de ce qui est produit à l’intérieur des frontières nationales.
C’est le moment pour Tante Agathe de dépoussiérer ses vieux manuels de macroéconomie :
« Un pays vend et achète comme n’importe quelle entreprise. Quand il exporte, il fait entrer de l’argent. Quand il importe, il en fait sortir. En déduisant les revenus nets des capitaux en provenance de l’étranger (pour ne garder que la production réellement générée à l’intérieur du pays), on obtient une approximation de la balance commerciale. En théorie, si elle est positive, elle soutient la croissance du PIB. Si elle est négative, on parle de déficit commercial. »
“Tarif”, le mot préféré du dictionnaire de Trump
Trump n’en est pas à son premier coup d’essai. Après avoir ciblé l’aluminium à 10 % et concentré ses attaques sur la Chine lors de son premier mandat, il récidive avec des tarifs sur les importations encore plus musclés. Fidèle à son imprévisibilité explosive, on peine à le suivre : l’aluminium grimpe à 25 %, tandis que l’ensemble des importations en provenance du Canada et du Mexique se retrouvent ballotées entre annonces, retraits et réintroductions. La menace de droits de douane réciproques planait également depuis plusieurs semaines, mais ce mercredi, le commerce américain se referme un peu plus. En ce jour de libération, le gouvernement Trump tranche : 10 % pour tout le monde, 20 % pour l’Europe, jusqu’à 54 % pour la Chine.
Derrière ce protectionnisme, l’ambition affichée est limpide : “Make America Great Again” en rendant les importations plus chères pour inciter les entreprises à produire aux États-Unis, tout en boostant l’emploi. Mais les tarifs ne sont pas seulement un levier commercial, ils servent aussi de moyen de pression, comme en témoigne la récente tension avec la Colombie ou la menace de taxer à 200 % le champagne et le vin français si l’Europe ne levait pas ses tarifs sur le bourbon. Au grand dam des Européens qui devraient trinquer deux fois plus.
Le déficit commercial est-il forcément mauvais ?
Sur le papier, la logique trumpiste semble implacable. Mais en réalité, elle se heurte à quelques nuances économiques. Certes, un excédent commercial peut soutenir la croissance du PIB (comme vu plus haut), mais un déficit n’est pas forcément un signe de faiblesse. Aux États-Unis, les importations élevées peuvent être un signe que la population achète beaucoup. De plus, le pays attire des investissements étrangers massifs, ce qui renforce le dollar, rendant donc les importations plus abordables.
Ces investissements étrangers ne s’évaporent pas. Ils peuvent irriguer l’économie sous forme d’investissements dans les entreprises, les infrastructures et l’innovation, et donc constituer un véritable moteur de croissance.
Qu’est-ce que l’augmentation tarifaire implique pour les entreprises ?
Ces dernières semaines, les tarifs ont secoué les marchés en raison de spéculations sur leur ampleur et leurs répercussions sur l’économie mondiale, l’inflation et les entreprises. Pour ces dernières (surtout celles dépendantes des importations) l’augmentation des droits de douane se traduit par une hausse des coûts de production. Elles se retrouvent donc face à un choix cornélien : absorber la hausse et affecter leurs marges, répercuter l’augmentation sur les clients et risquer de réduire la demande, ou repenser leur chaîne d’approvisionnement.Prenons le cas d’Agathe&Co U.S., qui importe de l’acier canadien :
“Avec un tarif initial de 10 %, un lot d’un million de dollars revenait à 1,1 million. Désormais taxé à 25 %, ce même lot coûte 1,25 million. Comme les droits de douane sont dus à l’importation, la sortie de cash est immédiate. L’entreprise peut tenter d’absorber une partie du choc, mais si elle choisit de répercuter la hausse sur ses clients, ceux-ci pourraient aller voir ailleurs ou exiger des délais de paiement plus longs, nécessitant de l’entreprise d’avancer encore plus de fonds.”
Encore une fois, l’importance d’une gestion optimisée des cash flows est remise sur le devant de la scène, avec une situation où les sorties d’argent augmentent immédiatement, alors que les entrées peuvent diminuer progressivement. Ce déséquilibre fragilise la capacité de l’entreprise à financer son activité et ses investissements, mettant en péril sa santé financière.
Conclusion
La hausse des tarifs imposée par Trump s’inscrit dans une logique protectionniste visant à revitaliser l’économie américaine en se focalisant sur la balance commerciale. Pourtant, comme nous l’avons vu, un déficit commercial n’est pas nécessairement un indicateur de fragilité économique et n’offre qu’une vue tronquée de la réalité. En plus d’impacter les marchés et l’inflation, ces mesures redessinent également le paysage financier des entreprises, rappelant, s’il en était besoin, que la gestion des cash flows demeure une condition essentielle à la résilience des entreprises, dans un environnement où les règles du jeu évoluent au gré des décisions politiques.
Points clés à retenir sur les tarifs douaniers
- Un déficit commercial n’est pas forcément synonyme de faiblesse économique.
- Un protectionnisme excessif peut fragiliser les entreprises qu’il prétend défendre.
- La hausse des tarifs mettra sous pression la liquidité des entreprises concernées.
- Dans un environnement incertain, une gestion agile des cash flows reste essentielle.
Sources
- Cato Institute. (n.d.). U.S. trade deficit and jobs: The real story. Récupéré le 17/03/2025, de https://www.cato.org/free-trade-bulletin/us-trade-deficit-jobs-real-story
- CBC News. (2023, 1er décembre). Trump’s trade tariffs: A timeline. Récupéré de https://www.cbc.ca/news/politics/trump-trade-tariffs-timeline-1.7481280
- Commission européenne. (n.d.). Balance commerciale. Eurostat. Récupéré le 17/03/2025, de https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Glossary:Trade_balance/fr
- Samois, O. (2025). Guerre commerciale: les États-Unis vont appliquer des droits de douane de 20% sur l’UE et jusqu’à 54% sur la Chine? L’Echo. Récupéré de https://www.lecho.be/economie-politique/international/usa/guerre-commerciale-les-etats-unis-vont-appliquer-des-droits-de-douane-de-20-sur-l-ue-et-jusqu-a-54-sur-la-chine/10600954.html
- Parlement européen. (2019). Trade and investment barriers: The EU and US in comparison. European Parliamentary Research Service. Récupéré le 17/03/2025, de https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2019/633187/EPRS_ATA(2019)633187_EN.pdf